Comment les codes de calculs industriels et les modèles obtenus par apprentissage peuvent-ils s’enrichir mutuellement ? C’est à cette problématique que va répondre le projet HSA, premier du vaste programme de recherche « Intelligence Artificielle et Ingénierie Augmentée » (IA2) lancé par l’IRT SystemX le 4 février dernier.
SystemX, unique IRT dédié à l’ingénierie numérique des systèmes du futur, lance le projet Hybridation Simulation Apprentissage (HSA), premier volet de son programme de recherche « Intelligence Artificielle et Ingénierie Augmentée » (IA2) portant sur le thème de de l’hybridation de l’IA. Ce projet R&D collaboratif d’une durée de 48 mois, réunit 5 industriels (Airbus, Air Liquide, EDF, RTE et SNCF) et 3 laboratoires de pointe (Équipe Tau - Inria Saclay, LIP6 - Sorbonne Université, LIMSI - CNRS) autour de cas d’usage concrets, afin d’étudier et d’élaborer de nouvelles approches hybridant les méthodes de simulation physique et d’apprentissage à partir des données et de lever les verrous scientifiques associés.
La simulation numérique représente aujourd’hui un outil indispensable dans la conception et le pilotage temps réel des systèmes physiques. Mais dans un contexte de plus en plus complexe intégrant plusieurs disciplines et acteurs, les processus de simulation doivent évoluer afin d’améliorer la qualité des décisions prises en conception et en opérationnel. À ces fins, il est intéressant de constater que les ingénieurs disposent aujourd’hui de deux sources principales d’information : les résultats des simulations de modèles mathématiques et numériques classiques (« boites blanches », comme les équations aux dérivées partielles et leur résolution par la méthode des éléments finis par exemple), et par ailleurs les essais réels réalisés sur le système physique considéré et les données terrain capturées qui peuvent alimenter des modèles d’apprentissage (« boites noires »).
L’objectif du projet HSA est de concevoir de nouvelles approches d’apprentissage visant à hybrider les processus de simulation physique classiques en les couplant avec les méthodes d’apprentissage à partir des données d’observation ou de simulation. La construction d’un modèle de simulation hybride sert un triple objectif : réduire le coût de la simulation physique grâce aux nouvelles méthodes d’IA basées sur les données (en créant des modèles de substitution à base d’apprentissage statistique), améliorer la qualité des décisions prises lors des phases de conception ou de pilotage basées sur la simulation, et enfin être en capacité de s’attaquer à des problèmes physiques difficiles à résoudre avec les méthodes de modélisation classiques. En outre, hybrider ces méthodes laisse espérer une meilleure capacité de prédiction que des modèles uniquement basés sur l’apprentissage.
« Dans le cadre du processus de conception de systèmes physiques, il ne faut pas chercher à opposer les méthodes classiques de simulation numérique, sur lesquelles les industriels ont développé un socle de compétences très solide depuis 30 ans, et la nouvelle vague d’IA qui consiste à se baser sur des observations déjà réalisées et/ou sur des données déjà simulées, pour reconstruire un phénomène physique et prédire un comportement. Les experts du sujet sont unanimes sur l’intérêt d’hybrider ces nouvelles techniques d’apprentissage particulièrement puissantes (grâce notamment à l’augmentation des capacités de calcul et à l’accessibilité aux données massives) avec la simulation physique. Cette problématique, aujourd’hui encore naissante, nécessite d’explorer de nouvelles approches algorithmiques pour réussir cette hybridation. C’est précisément la motivation de notre projet qui reposera sur l’implication de cinq industriels majeurs, au travers de cas d’usage applicatifs associés à des problématiques d’hybridation », explique Mouadh Yagoubi, chef de projet HSA, IRT SystemX.
Les cas d’usage étudiés traduisent les pratiques actuelles de la simulation physique, en conception comme en exploitation. Les simulations considérées peuvent être distinguées en deux catégories : la simulation physique 3D, également appelée éléments finis (mécanique, thermique, acoustique, etc.) et la simulation 0D-1D, appelée aussi simulation système.
Chaque cas d’usage adresse une problématique spécifique de modélisation physique à hybrider avec des approches IA :
Le cas d’usage Airbus porte sur l’utilisation de méthodes hybrides (modélisation physique/ IA) pour simuler le bruit des aéronefs avec pour objectif la réduction des nuisances sonores autour des aéroports et, de manière générale, au-dessus des zones habitées.
Le cas d’usage Air Liquide s’intéresse à la production d’hydrogène en grande quantité, plus précisément au reformage du méthane à vapeur (SMR) qui est la technologie dominante. D’importants calculs physiques sont nécessaires pour réaliser des estimations de performance et optimiser les unités de production. L’hybridation des modèles d’IA devrait favoriser le remplacement de ces modèles coûteux par des modèles d’apprentissage plus rapides.
Dans le cas d’usage EDF, l’hybridation des modèles de simulation (modèles physiques et simulation multi-agents) avec des modèles d’IA va se placer au service de la modélisation énergétique des bâtiments et des quartiers, en tenant compte des caractéristiques des bâtiments et de l’activité de leurs occupants, dans l’objectif d’optimiser les consommations des bâtiments tout en garantissant le confort des occupants.
Pour le cas d’usage RTE, l’hybridation des modèles physiques et des modèles d’apprentissage vise à accélérer les temps de calcul des simulateurs physiques actuels pour la conduite temps-réel du réseau électrique, en estimant le risque associé à de possibles défaillances d’ouvrages sur le réseau et en recherchant des solutions à mettre en œuvre pour les cas contraignants.
Enfin, le cas d’usage SNCF porte sur la fatigue du rail et le couplage de modèles mécaniques développés à SNCF I&R et SCNF Réseau avec des données terrain, afin d’améliorer la prédictivité des modèles et développer un véritable outil d’aide à la décision en maintenance.
Les verrous scientifiques à lever sont de trois ordres : améliorer la fidélité des résultats obtenus aux phénomènes physiques observés ; s’assurer de la vérification des contraintes physiques connues a priori sur les phénomènes physiques sous-jacents ; garantir une robustesse et une explicabilité des approches par apprentissage tout en préservant leur performance. Le projet HSA s’attaquera à ces verrous en développant de nouvelles approches d’apprentissage qui permettront d’améliorer les pratiques de l’état de l’art en industrie.
Deux thèses seront menées dans le cadre de ce projet sur l’introduction de connaissances physiques dans les modèles d’apprentissage par réseaux de neurones profonds et l’apprentissage de réseaux de neurones profonds à base de modèles physiques multi-fidélité ou multi-physique.
Les travaux académiques menés dans le cadre du projet HSA seront mutualisés au travers d’un projet de coordination scientifique commun aux 6 projets qui composent le programme IA2.
HSA est le premier projet du programme « Intelligence Artificielle et Ingénierie Augmentée (IA2) » lancé par l’IRT SystemX le 4 février 2020. Ce programme est inédit à la fois par son ampleur et son format et répond aux attentes des industriels qui conçoivent, développent et valident des systèmes. A travers 6 projets R&D collaboratifs, chapeautés par un projet amont de mise en commun des résultats scientifiques, coordonné par Marc Schoenauer, un chercheur renommé de l’INRIA Saclay, l’IRT SystemX propose de développer en 5 ans des solutions hybridant trois approches de modélisation et de simulation : la modélisation physique des systèmes, l’utilisation de connaissances métier ou de modèles de comportements exprimés par des experts, et les modèles d’apprentissage basés sur les données réelles que proposent aujourd’hui les technologies de l’Intelligence Artificielle.