Notamment, deux aspects du travail de l’UX Design méritent à ce titre d’être explorés.
Même si les concepts et notions de Design Thinking et Design UX sont aujourd’hui plus largement diffusés, il reste néanmoins complexe pour les organisations et les entreprises de les appréhender et de les intégrer, d’autant plus si ceux-ci sont réduits à leurs spécificités techniques. Le Design ne tend pas seulement à l’efficacité et la performance par le biais d’une pure ingénierie.
En modélisant une expérience utilisateur, l’UX Design embrasse la complexité des systèmes qui est un enjeu majeur de nos sociétés. L’interdépendance des services et des produits, leur interconnexion et les mutations profondes impliquées par leurs usages, exigent en permanence d’interroger les pratiques et les impacts des solutions proposées, incluant dans le processus des dimensions créatives, esthétiques, sociales, écologiques, économiques, ainsi que le sens qu’elles portent.
La mise en œuvre des méthodes d’UX Design et du Design Thinking peut s’avérer complexe car celles-ci embarquent leurs propres limites, qui découlent de facteurs qui peuvent influencer les processus de façon profonde : manque de clarté dans les objectifs stratégiques, délais irréalistes, manque de ressources et de disponibilité, tendance à l’uniformisation et à la standardisation, mais surtout manque de préparation et d’acculturation des équipes.
C’est pourquoi certains projets échouent et entraînent de l’incompréhension et de la frustration chez les donneurs d’ordres.
Si l’on résume l’UX Design à des hooks présentant les Design sprints comme des formules magiques qui permettent de concevoir des solutions innovantes répondant à des enjeux majeurs en 5 jours, alors en effet, le risque d’échouer, ou de concevoir des solutions de surface, est patent. Et parce que la conception est intimement liée à l’humain, imprévisible par nature, mais également aux écosystèmes clients, alors vouloir contenir en quelques jours, contractuellement fixés, toute la complexité d’une approche, relève peut-être de l’illusion.
Le designer a pour mission de révéler la complexité d’un projet numérique et de trouver les leviers les plus adaptés ayant les impacts à forte valeur. Pour cela, il doit savoir s’extraire du cadre théorique pour ne pas tomber dans l’ornière de la standardisation, des méthodes traditionnelles et des schémas qui enferment un projet parfois jusqu’à l’échec.
Un projet numérique s’inscrit dans des systèmes aujourd’hui particulièrement complexes : facteurs humains, objets connectés, points de contact dématérialisés, interconnexions des produits et des services, multiplications des appareils, données en grands volumes. Il est également en interactions avec toutes les dimensions humaines et sociétales majeures telles que les notions d’impacts environnementaux, sociaux, culturels et économiques.
Cette complexité doit dorénavant être traitée avant même d’aborder le projet (mais juste après avoir défini avec précision les limites du système, les contextes, le problème initial et les objectifs stratégiques).
La capacité à innover comme à répondre aux attentes dépend donc de la compréhension des écosystèmes adressés. Il ne s’agit plus de simplifier, mais de relier (au sens de reliance, selon le philosophe et sociologue Edgar Morin dans son introduction à la pensée complexe). Relier les savoirs, les disciplines, les éléments et leurs systèmes mais également les éléments entre eux, afin de rétablir une liaison entre les personnes et les systèmes.
Dès lors, le service que l’on entend créer est entendu comme partie d’un système. Ce dernier affecte le service et pèse sur son usage et ses fonctionnalités, quand celui-ci s’interconnecte à d’autres outils et services pour former de nouvelles émergences.
Gage de la pérennité dudit service, ce saut d’échelle n’est, à ce jour, pas encore bien compris par les organisations. Le produit que l’on veut créer n’est pas l’objet principal de la réflexion, mais le système au sein duquel il opère.
C’est à ce titre qu’intervient la cartographie des systèmes, laquelle permet d’explorer la vision d’un système donné : éléments du système (comme la satisfaction ou encore des propriétés socioculturelles), réseau et interactions (les flux d’échanges dynamiques), émergences (la valeur, les impacts et les opportunités). Voilà qui peut sembler bien hermétique. Il s’agit principalement de retenir que la cartographie aide le designer à observer le problème posé sous tous ses angles et ainsi à faire ressortir ce dont il aura le plus besoin ensuite, c’est-à-dire les relations causales, fondamentales pour la transformation que l’on souhaite mettre en œuvre.
Il y aurait évidemment de nombreux autres thèmes à aborder, tels que la construction des équipes, les notions d’éco-conception, d’accessibilité et d’inclusivité, de coopération, de co-création et plus largement de culture Design pour illustrer plus encore toute l’efficacité et les bénéfices d’un Design Thinking transversal et stratégique, sur la qualité des produits et la satisfaction des utilisateurs.
Parmi toutes les disciplines intervenant dans la conception d’un produit numérique, l’UX Design est certainement celle qui prend le plus en compte et assume toutes les facettes et responsabilités sociales, économiques, éthiques et écologiques de ce qui est produit. Malgré sa démocratisation, l’UX Design est encore trop cantonné à sa dimension visuelle et purement ergonomique, oblitérant son objectif principal de résolution des complexités.